Envie d'ailleurs...

Un vent frais et maritime, ce genre de vent qui, lorsque vous fermez les yeux, ramène à la surface tout un tas de souvenirs enfouis, venait aguicher les fines mèches de cheveux dont les pointes chatouillaient, orgueilleuses, le creux des reins d'une jeune fille debout, immobile face au vide vertigineux qui s'étendait à ses pieds.

La brise iodée glissait sur ce visage si juvénile et qui, pourtant, suscitait tant de frayeur. Aussi lentement que se séparent pour la première fois les ailes d'un papillon qui vient de naître, les paupières se soulevèrent, laissant un regard emprunt d'une profonde mélancolie parcourir la ligne mielleuse d'un horizon crépusculaire.

Une fois encore, le même scénario. Depuis qu'elle avait quitté de façon plus ou moins fortuite son village natal, Apple avait navigué sur pas moins de 13 navires différents... Son dernier voyage remontait au mois dernier, elle était monté à bord d'un prestigieux bâtiment marin, la fierté de la flotte pirate dont la Légende voulait que Dieu lui même ne pourrait faire couler, oui, c'est cela même, un peu comme ce célèbre paquebot qui ne verrait le jour que plusieurs générations plus tard. Elle y avait acquis un rang respectable, une position qui lui promettait un avenir de capitaine.

Et cela faisait maintenant pas loin d'une semaine qu'elle était à terre, après avoir survécu miraculeusement à ce terrible naufrage qui emporta les trois quart de l'équipage. Une mer d'huile, pas le moindre rocher, des fonds profond, bref des conditions idéales de navigation... et pourtant il avait coulé. Ne pas chercher à comprendre.

Et en bas, en ville, les regards n'étaient pas innocents. Ils trahissaient tous une crainte plus ou moins camouflée, que cette jeune fille au prénom de fruit n'amène ici aussi le malheur dans son sillage... C'est pourquoi Apple s'était retranchée au sommet de la Montagne sacrée... pour être seule, ou bien pour provoquer ce fameux Dieu de la Montagne, après tout si la roche s'ouvrait soudainement en deux pour y faire jaillire un geyser de lave, cela ne l'aurait absolument pas étonné. Et d'ailleurs, elle attendait une nouvelle catastrophe... plusieurs jours sans rien, cela tenait du divin!

Patiente, elle s'assit, les jambes dans le vide, en attendant que quelque chose ne se produise... Il ne fallait pas être pressé après tout...

Les quelques débris de lave flottants grâce à la berceuse du vent de Reihou, se balladaient, tanguantes de part et d'autre du sommet de la montagne sacrée. Une légère brise, douce soit-elle, rencontrait au milieu de son chemin, la face d'un homme, chapeau et lunettes sur son visage.

Les cheveux voltigeants, Kesshutsu, tel était son nom, marchait avec un pas lent et calme, les pieds passant l'un devant l'autre, continuellement.
Une sinistre aire se faisait ressentir. Il ne fallait pas oublier qu'à l'heure actuelle, on se trouvait devant les portes d'une gloire éternelle. Une pierre ici cachée, ne pouvait qu'être protégée de part les fameux monstres de la montagne.

S'arretant net, Kesshutsu releva son regard vers celui d'une jeune fille, assise sur un banc de rochers, les mains sur son menton. L'air pensif, l'homme au chapeau ne tarda pas à se diriger vers celle qui semblait profiter des instants présents...
Sans dire un mot, il s'assit à côté de la jeune femme. Le sourire absent, il contemplait le ciel et le paysage qui se trouvaient devant lui...

Seule source de lumière, le soleil semblait à peine se lever mais il n'en était pas de la même chose de cet univers qui entourait dorénavent nos deux personnages.
L'oeil perçant de l'homme au chapeau faisait deviner à quiconque que le danger n'était pas loin. Rodeurs et monstres se pouvaient d'attaquer à tous moments mais aucun geste ne se faisait ressentir de la part des deux pirates, inconnus à leurs dépends et seuls dans ce monde insuflant chaleur et désir.

Et il n'avait pas fallut beaucoup de temps pour que la nuque de la jeune fille ne soit accablée de ces petits picotements significatifs, indiquant sans erreur que quelqu'un -ou quelque chose- se trouvait dans les parages. La sensation d'être observée, sensation habituellement désagréable mais à laquelle Apple s'était accoutumée avec le temps.

Elle ne bougea pas, et ne dit rien non plus lorsque la présence se fit plus proche et que finalement du coin de l'oeil elle put entre voir la silhouette d'un homme portant un chapeau prendre place à ses côtés. Existait-il dont encore en ces bas lieux des ignorants pour que cet individu ne l'ai point déjà reconnu comme étant le danger public numéro un, ou bien sans doute ce malheureux souffrait de cruelles tendances suicidaires. Pauvre âme.

La brise se fit bise et bientôt un petit son de grelot vint s'ajouter au doux frou froux des feuilles d'arbres, en choeur harmonique avec les vagues de l'océan qui venaient lécher avec gourmandise les pieds rocheux de la falaise.

Par curiosité, tout de même, la jeune pirate tourna les yeux vers l'étranger pour lui offrir ce spectacle plus qu'étrange qu'était l'expression du visage d'une Pomme empoisonnée. Un visage qui reflétait une profonde haine, des yeux scrutateurs et brûlants de reproches comme si cette jeune fille était l'un de ces monstres venu d'un monde macabre pour mettre sur votre dos toutes les plaies de l'univers tout entier. Oui, rien que ça.

Et pourtant il en était rien. Dans sa tête raisonnait une simple curiosité vis à vis de ce monsieur qui avait prit place à côté d'elle. En plus il avait une bonne tête, l'air sympa quoi...

Mais ce silence devenait pesant. Non pas qu'elle n'aimait pas ça hein, maisl es inconnus qui restent tout près l'un de l'autre sans rien se dire, généralement c'était ennuyeux. Et Apple n'avait pas envie de paraître ennuyeuse, bien qu'au final elle s'en fichait un peu. C'est donc d'une voix d'outre-tombe, un presque murmure qui, si vous l'aviez entendu un soir, tout seul perdu dans cette masse obscure qu'étaient les ombres de la nuit, vous aurait fait grelotter d'un long frisson parcourant l'échine... Bref, d'une voix qui fait peur :

" Vous aimez crier? "

Ahem, oui, il y avait mieux comme première approche. Mais ces mots qui semblaient tout droit sortis de la bouche d'une meurtrière sanguinaire n'étaient là qu'une simple question vis à vis d'un jeu qu'Apple aimait beaucoup pratiquer : discuter avec son écho.